Souvent, dans le cours d’une journée grise, studieuse, qui s’écoule dans la disgrâce, le souvenir d’une autre journée plus intense, ou d’un lieu, ou d’une personne, me déchire comme une voix qui crierait à travers la brume : « Venez ! J’ai trouvé la vieille maison ! Je suis au portail ! Rejoignez-moi ! » C’est alors qu’une sorte de lumière ou de courant d’air secoue ma tâche. Je me dis que rien n’est perdu, rien ne disparaît à jamais, rien ne s’oublie. J’attribue à ces bribes intactes de mon passé le pouvoir des vieilles clés qu’on abandonne dans un tiroir parce qu’on n’en connaît pas l’usage, jusqu’au jour où l’on découvre la porte secrète qu’elles ouvraient, et, derrière le passage dérobé, les heures tumultueuses de notre enfance qui coulaient comme des rivières sans bord, créant ça et là des îles dans le feuillage. Emily ou la déraison
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