Elle ne s’accordait jamais un moment de repos, de répit, jamais une minute pour souffler et se réserver un plaisir, sauf chaque soir, avant d’aller dormir, lorsque tout était rangé, essuyé et frotté, deux ou trois minutes dans l’ombre à regarder la mer au loin, calme ou mauvaise, blanchie par la lune ou noire comme une plaque de fourneau. On aurait dit alors, c’est une impression que j’avais, qu’elle avait mis de l’ordre dans la grande salle pour recevoir quelqu’un d’important qui avait été retardé. J’avais remarqué aussi que parfois, à l’heure des siestes, un moment creux avant la préparation du repas, elle retirait son tablier qu’elle accrochait à une patère et elle écoutait une chanson de Piaf sur le tourne-disque en fumant une cigarette à bout doré que le Yachtman disait avoir rapportée de Floride. A ce moment-là, si un client s’approchait du comptoir pour commander une bière, elle criait de la cuisine, ‘j’arrive !’, sans bouger d’un centimètre.
L’Amour est un fleuve de Sibérie
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