Faki Manké

Editions du Somnambule. 1987.

Hors commerce

 

Voici ce que raconte Faki Manké.

Avant la naissance du monde,

quand rien n’était à déplorer ni à décrire,

avant le premier repentir, le premier chant,

la première pluie, le premier automne précoce,

cinq dieux se baignaient dans un fleuve,

vous eussiez dit les cinq doigts d’une main.

Quand ils eurent nagé longtemps,

ils voulurent sécher leurs corps sur une berge,

mais l’eau ruisselait de leurs fronts sans s’évaporer,

car ils n’avaient pas encore établi

la distinction du sec et de l’humide.

L’aîné des cinq dieux déclara :

« Je vais courir le long du fleuve

usqu’à ce que je sois changé en fumée.

Suivez-moi. Vous sècherez dans mes volutes

et connaîtrez l’opposition des éléments,

la séparation des contraires.

Puis vous ramènerez mes cendres dans le fleuve

et je reviendrai à la vie.»

Le dieu fit ce qu’il avait dit

Et ses frères le poursuivirent.

Mais, sur le point d’être rejoint,

il arracha son œil unique et le lança

haut dans le vide. Ainsi créa-t-il

le soleil et ce qui s’y rattache :

la couleur rouge, les blés mûrs,

la crête du coq...