Noir Devant
Editions Seghers. 2001.
Ce qui frappe dans ce recueil, à travers l’extrême diversité de l’inspiration, c’est la singularité d’une voix qui n’appartient à aucun courant, aucune école, ne suit aucune mode, mais assigne à la parole sa plus haute mission et suggère une difficile, mais possible réconciliation avec le monde. Cette voix, tantôt ample jusqu'à l’épopée, tantôt intime et humble comme un murmure, semble venir de loin pour convoquer toutes les émotions, tous les mystères de la vie. De la ballade épique, narrative ou lyrique, à la plus modeste chanson, en passant par la complainte, la berceuse, l’ex-voto, beaucoup de formes poétiques sont revisitées, parfois avec humour et désinvolture, dans une langue qui ne fait jamais obstacle à ce qu’elle dit. Langue musicale, fluide, sensuelle et inattendue, portée par une énergie peu commune, qui ne se refuse rien, surtout pas les images fortes, malgré les contempteurs de la métaphore. Qu’il s’agisse du chant, du récit de griot ou de la copla flamenca, la référence à l’oralité est constante, car le poème doit pouvoir aussi bien être récité que lu des yeux.
Dans Presque un manège (Éd. Julliard), Milovanoff définissait ainsi l’intention (souvent oubliée) de la poésie : maintenir ouverte, pour tous, dans la langue, la circulation de l'infini. A la fois populaire et savante, personnelle et généreuse, son œuvre ne propose aucun retour en arrière littéraire. Il ne s’agit pas de faire de la poésie à l’ancienne. En reprenant et en poursuivant l’expérience poétique des griots, des poètes fondateurs et des créateurs d’épopées, Noir devant montre la voie d’une nouvelle modernité qui ouvre la poésie à l’universel.
Il faut noter par ailleurs que les thèmes les plus marquants de Noir devant (l’exil, l’errance, le nomadisme, la tyrannie, la séparation, etc.) découlent de l’expérience même de l’écrivain marqué par la figure du père exilé, la mémoire des tueries et des génocides du siècle, et la nécessité d’une résistance personnelle de tous les instants à la barbarie toujours possible. En ce sens, malgré son souffle de genèse, ses fulgurations lyriques et ses paraboles, le recueil tout entier peut être considéré comme une autobiographie imaginaire. |