L’hiver d’un égoïste et le printemps qui suivit
Note de lecture, par Marcel Hénaff
Un compagnon nécessaire
J’ai terminé hier jeudi ma lecture de l’Hiver... J’ai un peu ralenti vers le dernier tiers pour ne pas quitter trop tôt des personnages devenus chers. L’intelligence, la finesse, l’humour, voire l’auto-dérision de Misha - le héros laconique - sa manière légère et fraîche d’accueillir la vie, les amours, les humains de toutes sortes, y compris les crétins prétentieux, bref tout en fait un compagnon nécessaire. Légèreté au sens le plus musical jusque dans la gravité finale de la mort. Le titre aurait pu faire croire à un roman français de style existentialiste désabusé [genre Blondin, Nimier...]. C’eût été bien mal connaître Milovanoff. Car on découvre un personnage profondément japonais (pas seulement par son nom de famille mystérieux pour un méridional). Le ton est entre Bashô, Soseki, Kafû... et bien d’autres. Intertitres dans leur style et au-delà. Et c’est du pur Milovanoff. Du meilleur. Beaucoup doivent se demander “comment il fait” le solitaire des Cévennes pour passer d’une année sur l’autre - avec un telle splendeur d’écriture et rigueur de narration - de Terreur grande à l’Hiver d’un égoïste; et je pourrais remonter par paires les trente dernières années. A chaque fois des univers nouveaux, des personnages improbables, des situations complexes et une invention constante dans les détails de la vie et dans les métaphores. L'arrivée du tsunami dans les dernières pages est poignante. La construction narrative est encore une fois très subtile et maîtrisée à la perfection: récit autobiographique confié à l’ami Guido et l’épilogue permettant une conclusion posthume. Le personnage d’Amalia est parfait; celui d’Odilon aussi et les autres comparses sont croqués au plus juste : Mattard, Guido, la voisine un brin nympho, la patronne du Figuier Bleu, la voyante au chien hurleur, le commissaire Caron ... Il y a des scènes mémorables comme celle de la pêche en fin de nuit sur la brume de l’étang... La rencontre avec Amalia [les “appels de phare”]; les dialogues avec José ou Mack the Knife... Dans “la rencontre des corps”, l’art de tout rendre évident en ne disant presque rien (conjurer “la pornogaphie de l’évidence”)...
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