Le Maître des paons
Editions Julliard. 1997.
Prix Goncourt des Lycéens 1997 Prix du Jury Jean Giono 1997
Extrait:
Au début des années soixante, j'ai connu dans le sud de la France un homme qui peignait des paons. Rien que des paons. Quand on lui demandait pourquoi il ne changeait pas de motif, il disait que le corps des jeunes filles offre moins de diversité que le paon qui fait la roue. Je ne sais si cet argument est recevable ou si le peintre, irrité par une question qui revenait continuellement, s’en débarrassait par une pirouette. Ce qui est sûr, c'est que rien ne l'intéressa davantage que de rivaliser, pinceaux en main, avec le chatoiement insensé de la Création. Savoir s’il réussit ou non n’est pas mon affaire. Certains diront qu'un tel homme devait être fou ou obsédé, c'est inévitable, on ne peut pas empêcher les étourdis de porter des jugements. D'autres, avec plus de bienveillance, penseront qu'il n'est rien d'insignifiant dans l'univers et que rendre compte d'un seul détail est déjà une tâche démesurée. Quoi qu'il en soit, jusqu'à un âge relativement avancé, l'artiste poursuivit son entreprise dans la plus grande solitude. Ainsi porta-t-il l'art de peindre les paons à un degré de perfection qui n'avait pas été atteint avant lui. Maintenant qu'il est mort, on dit qu'il a été le premier peintre de paons au monde et on lui prépare une place dans les musées. On l'appelle le Maître des paons.
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