Squatt
Première pièce publiée de Jean-Pierre Milovanoff.
Editions Comp’Act. 1984.
D’entrée de jeu, un télescopage rapide conduit du crime à la naissance, de la naissance au crime. La pièce ne s’embarrasse d’aucun temps mort. Appelés par un mot, par une scène, les décors surgissent à point nommé, puis se défont dans l’après-midi fin de siècle. Ici l’anonymat est de règle ; les lieux ne sont que des passages : chambre d’hôtel, boulevard, salle de cinéma, tribunal, cellule de prison autobus, appartement squatté. Vivant au jour le jour « dans le gris de l’histoire » dépossédés de leurs propres sentiments par le cours accéléré des événements, c’est à peine si les personnages ont le temps de se constituer une identité repérable par un surnom (Le Bouclé, Ange, Fifille, etc.) La violence qu’ils exercent sur les autres ou sur eux-mêmes n’est que le revers de la nostalgie. A la fin, quand tout est joué, une dernière accélération transforme la souffrance en fait-divers.
Extrait:
FIFILLE. Dernière photographie de nous autres avant oubli : c’était à la fin de l’hiver vers la fin du siècle un après-midi presque un soir alors que la neige tombait depuis le matin dans la cour une neige grise mouillée qui ne tenait pas sur le sol et n’effaçait rien n’effaçait rien/Tout le jour je l’avais fait pour de l’argent – et voilà qu’en me rhabillant j’aperçois un journal plié qu’un client avait fait tomber de sa poche/ le Bouclé se trouvait en première page et sous la photo on disait pourquoi on l’avait abattu et comment et qui il était pauvre petit corps vieux bambin grand frère mon roi !... je pris tout l’argent que j’avais je laissais le squatt en l’état… je pensais que le Bouclé s’était évadé pour moi seule et que désormais c’était moi qui allais être libre pour lui/ déjà je croyais entendre sa voix de loin en loin comme dans un ciel gris de neige le cri d’un oiseau qui passait et qu’on n’a pas vu
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